Le chemin initiatique de Léo Gantelet

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Le chemin initiatique de Léo Gantelet

 

Homme d’affaire devenu artiste, le haut savoyard Léo Gantelet incarne parfaitement la dualité parfois à l’oeuvre en un seul homme. En faisait naître dans son jardin Le Chemin idéal, un parc de sculptures à aspiration philosophique, il a voulu partager les leçons d’une existence plurielle, riche et plus que jamais inclassable. Rencontre. Par Laura Daniel.

 

« J’ai toujours pensé que vivre entouré de beauté était un choix important pour l’équilibre psychique et l’évolution personnelle. » Point de départ d’un parcours qui se veut initiatique et spirituel, c’est par cette phrase enregistrée sur son audioguide que Léo Gantelet entame chacune des visites qu’il effectue au sein de son « Chemin idéal », un parc de sculptures constitué sur sa propriété. Une maxime devenue mantra, qui guide ses propres pas depuis bientôt 40 ans. Et qui caractérise jusqu’à son intérieur, une élégante mais chaleureuse maison de campagne donnant sur le Semnoz. 

Nichée au sommet d’une allée surplombant le paisible village de Seynod, en Haute-Savoie, cette demeure se trouve à seulement quelques centaines de mètres de la ferme qui a vu grandir le propriétaire des lieux. « Ma famille est à Seynod depuis plus de 300 ans. Mon père a été maire pendant 20 ans, mon frère conseiller municipal. Moi aussi d’ailleurs, même si ça ne me plaisait pas du tout ! » s’amuse Léo Gantelet. Un enracinement si fort que le bientôt octogénaire, pourtant avide de voyages - il a encore parcouru le monde il y a peu en bateau de croisière en compagnie de sa femme -, n’a jamais songé à quitter le village familial.

C’est donc sur un ancien champ jouxtant la maison de son enfance qu’il a choisi de construire son foyer, une vaste propriété entourée d’un jardin d’un demi-hectare et qui semble comme préservée de l’agitation extérieure. C’était il y a de ça cinquante ans, et il allait y passer le reste de sa vie. De ses vies, plutôt. Car avant d’être l’artiste, l’écrivain, le sculpteur qu’il est aujourd’hui, Léo Gantelet a d’abord été homme d’affaires. En 1968, avec deux amis, il crée une société, Sopra, dans un domaine pour le moins porteur : l’informatique. 

« Léo y était tout à fait à son aise, car c’est un homme qui a beaucoup d’entregent : il aime le contact, la communication… Dans l’entreprise, ce n’était pas le technicien ni le financier ; c’était le commercial, celui qui allait chercher des affaires. Et ça lui allait très bien », se souvient Jean Mino, son plus vieil ami, qu’il a connu sur les bancs du collège Sainte-Marie, à La-Roche-sur-Foron. 

Pourtant, Léo Gantelet a décidé de quitter le train en marche. À la fin des années 70, l’entrepreneur à qui tout réussit connaît des problèmes de santé : il sera opéré trois fois du rein, jusqu’à se le voir retirer. Une « descente aux enfers » qui durera quatre ans, le conduisant dans une « grosse déprime » qui le « stoppera en plein vol ». Et l’amènera à s’interroger sur le sens de son quotidien.

 

« Un drôle de saut »

« Il est vrai que l’homme d’affaires est quelqu’un qui n’a pas de temps. Aéroports, hélicoptères, voyages aux quatre coins de la terre, sans rien voir, c’est bien évident. […] Il est vrai que l’homme d’affaires est peu sensible à l’air du temps. La poésie, le beau, les roses, lui sont assez indifférents. Mais pas les clichés du moment : les modes et les vues conformistes lui sont un rempart excellent contre le désordre des choses. » Dans ce poème rédigé chez lui en 1990, Léo Gantelet a beau user de la troisième personne du singulier pour mettre à distance cet univers dont il brosse un portrait sévère, le texte n’en témoigne pas moins du combat introspectif à l’œuvre chez cet homme alors à l’intersection de deux mondes. C’est sa publication et celle des 31 autres, au sein du recueil Unique langage, en 1991, qui marquera définitivement le passage sur l’autre rive. « Quand vous êtes un homme d’affaires, c’est un drôle de saut de tout d’un coup publier un bouquin de poésie. Ça ne va pas ensemble ! J’avais une appréhension monstre, je me suis dit que les gens allaient me prendre pour un dingue », se remémore-t-il en souriant.

Pourtant, ce revirement n’aura pas été une surprise pour tous. « Il a toujours su ce qui était bon pour lui, cet esprit de décision lui correspond bien. Et a toujours été attiré par ce qui tourne autour de la culture. Il est à la fois équilibré, sérieux, tout en ayant une propension à la rêverie. Il y a certainement toujours eu à l’intérieur de lui un peu de ces deux personnages : le chef d’entreprise qu’il a été et ce créateur de l’esprit qu’il est aujourd’hui », analyse son ami Jean Mino, qui a participé à la direction de plusieurs grandes chaînes de télévision françaises.

Jean brut, simples baskets blanches : d’apparence, il ne reste que peu de vestiges de cette première vie chez Léo Gantelet, sauf peut-être son goût pour les belles choses. Si le Savoyard ne renie rien de son passé - « j’y ai pris du plaisir, et ça m’a permis de faire ensuite ce que je voulais », dit-il aujourd’hui -, il n’a jamais regretté d’y avoir renoncé. 

Après avoir progressivement réduit puis arrêté ses activités professionnelles, Léo Gantelet s’est tourné vers un monde qui l’avait toujours attiré, sans jamais oser s’y aventurer : l’art. Fort de son expérience d’entrepreneur, il lance la galerie Bagnorea, à Annecy. « J’avais l’habitude d’être toujours sur le pont, alors je me trouvais un peu en manque. Cette galerie m’a permis de retrouver une activité cadrée, dans un domaine que j’avais toujours eu envie de visiter. Cela m’a permis de découvrir un autre monde et de rencontrer de nombreux artistes », retrace-t-il. 

Parmi eux se trouveront de nombreux sculpteurs dont les créations sont aujourd’hui exposées au sein de l’œuvre de sa vie, ce parc de sculptures créé à même son jardin et dans lequel il se lancera après avoir fermé boutique, 17 ans et une bonne centaine d’expositions publiés plus tard.

« En réalité, j’ai créé le Chemin idéal sans le vouloir. Ça m’est tombé dessus ! J’ai d’abord installé une sculpture, puis deux, et les choses ont pris du sens. » Dans une chaude lumière d’automne, le sexagénaire parcourt ses allées parsemées de feuilles rouges et or, qui ont vu émerger ce projet artistique et philosophique qui lui aura pris vingt ans. Armé d’un bâton qui ne le quitte pas lors de ses visites au public, il détaille les motifs tracés dans le bronze, décrypte une inscription inscrite en grec ancien. Raconte l’histoire derrière les sculptures, 33 œuvres comme autant de symboles des différentes étapes et états de la vie, modelées de ses propres mains pour certaines et reliées entre elles par un itinéraire matérialisé par des dalles de pierres. 

Non loin de l’entrée de la propriété, faisant face à la maison, se tient « La Mamma », dénichée lors d’un voyage en Italie. Jambes repliées, coude sur les genoux et visage reposé dans la paume, cette femme de marbre rouge, aux cheveux coupés au carré et aux formes généreuses, dégage une sensation d’apaisement toute maternelle. « Ce regard détendu, souriant… Elle m’a tout de suite fait penser à ma femme, alors je l’ai acheté », raconte le propriétaire des lieux. Il est vrai que Christiane, qui partage sa vie depuis plus d’un demi-siècle, semble faite de ce bois. Affable bien que discrète, elle a soutenu son mari dans tout ce qu’il a entrepris et a pris part à cette ultime aventure, « de loin ». « C’est aussi chez moi », sourit-elle.

 

Trois mois sur la route de Compostelle

Quelques dizaines de mètres plus loin, à l’emplacement numéro 17, une singulière sculpture aux allures de coquilles d’escargot se détache dans le paysage. C’est leur fils, Stéphane, habitant dans le Sud et qui se destinait à une carrière dans le commerce avant de devenir sculpteur professionnel, qui l’a réalisée. Avec une signification toute particulière : elle évoque le pèlerinage qu’a effectué Léo Gantelet à Compostelle, durant l’été 1999.

Un jour, alors qu’il assistait à une conférence donnée à Seynod par d’anciens pèlerins, l’artiste s’est tourné vers sa femme, lui affirmant qu’il allait partir à son tour. Laquelle ne l’a pas cru. Elle aurait dû : « Dès les jours qui ont suivi, j’ai commencé à me préparer, acheter du matériel, me renseigner… Je n’étais pas sportif, ni même marcheur et, pourtant, le 15 août, je suis parti. Depuis chez moi, pendant trois mois et des poussières. » Ayant entamé ce chemin « plein de doutes », il en reviendra enrichi de ce « voyage intérieur », même si le retour parmi les siens demandera un temps d’adaptation. Si bien qu’il réitérera l’expérience sur l’île de Shikoku, le « Compostelle japonais », dont il fut l’un des premiers pèlerins français. Et racontera ces deux cheminements dans des livres, En si bon chemin… vers Compostelle et Shikoku, les 88 temps de la sagesse, venus allonger une bibliographie d’une dizaine d’ouvrages faite de poésie, romans et essais.

D’une certaine façon, c’est ce chemin initiatique, à la rencontre de soi-même, qu’a voulu recréer le Seynodien dans l’enceinte de sa demeure. Une démarche spirituelle, mais jamais doctrinale. « J’ai fait sept ans de collège chez des religieuses, ce qui laisse forcément des traces. Mais je ne pratique plus la religion depuis un moment. Alors vous dire à quoi je crois aujourd’hui serait bien difficile. Je crois en quelque chose, mais je ne sais pas à quoi. En revanche, la spiritualité est restée très ancrée en moi : je crois en son développement, au fait qu’il faille la dompter », détaille-t-il.

Pour donner un sens à cet assemblage de sculptures, et ne pas se contenter d’être un espace d’exposition, Léo Gantelet a délimité son parc en cinq parties, correspondant chacune à un âge de la vie : l’aire de la nature, de la pensée créatrice, du spirituel, l’aire cosmologie et l’aire d’agrément. Depuis 7 ans, il en fait profiter le public, d’abord deux week-ends par an, lors des Journée du patrimoine et des Rendez-vous au jardin, et désormais sur rendez-vous, pour les groupes d’au moins 7 personnes. « Les gens arrivent là et ne savent pas ce qu’ils vont voir ; ils sont dubitatifs. Et, petit à petit, ils rentrent dedans. Si bien qu’à l’arrivée, ils sont dans une bulle. C’est vraiment étonnant, et c’est très agréable pour moi de partager ça, même si cela demande un investissement personnel. »

Ces derniers temps, une nouvelle épreuve de santé l’a poussé à les espacer, mais les visites reprendront de plus belle au printemps. Moyennant quatre euros par personne, ajoutés à la vente de ses livres, ce n’est bien sûr pas ces activités artistiques qui permettent au couple Gantelet de vivre. D’autant que l’installation du parc et l’achat des sculptures ont demandé un investissement conséquent - environ 500 000 euros. Mais la vente de ses actions dans Sopra, au succès insolent et qui compte désormais plus de 36 000 collaborateurs, lui aura offert le luxe ultime : pouvoir mener, pour la deuxième partie de son existence et indépendamment de toute contrainte matérielle, la vie dont il n’osait rêver. 

 

Pour visiter le Chemin idéal, les rendez-vous sont à prendre avec Léo Gantelet au 04 50 69 15 41 ou par mail : xgantelet@aol.com