Annouck Curzillat Le sport comme revanche sur le sort

“Entre le travail, les entraînements, les sorties avec mon chien, je ne m’ennuie jamais. Je suis toujours en action. Ma coach mental me dit que cela me ferait parfois du bien de me poser un peu. Je n’y arrive pas.” Annouck Curzillat est une boule d’énergie. La jeune fille, née à Annecy en 1992 a une dé- termination peu commune.

Très jeune, son père et sa mère détectent chez elle une forme grave de cécité, une rétinite pigmentaire, qui l’em- pêche de voir distinctement. Elle distingue vaguement quelques zones de lumière. Remarquant que leur fille est toujours à fond, ses parents lui proposent de faire du sport. Elle s’y met volontiers, voulant faire comme les autres, aussi bien voire mieux qu’eux. Elle pratique l’équitation, le ski. Un jour un pompier de la région qui a vu une épreuve de triathlon paralympique à la télévision téléphone à la fédération locale d’handisport pour proposer ses ser- vices comme guide pour sportif aveugle. On le renvoie sur Annouck. Malheureusement, les hommes ne peuvent pas accompagner les femmes et le projet tombe à l’eau. Qu’importe, la jeune femme qui n’avait jamais entendu par- ler de ce sport s’y intéresse, accroche. Et s’accroche. Nata- tion, cyclisme en tandem, course à pied. Elle, qui est pleine d’énergie, insatiable, n’a pas le loisir de se lasser. Elle peut passer d’une discipline à l’autre, en cas de blessure, de cré- neau d’entraînement indisponible, de guides absentes, de météo capricieuse. “Je déteste la routine”. avoue-t-elle. “Trois sports, ce sont autant de terrains d’expression. Entre la technique, l’endurance, les transitions, il y a toujours moyen de progresser.” Elle commence aux Vallons de la Tour près de la Tour du Pin, en Isère, mais pour des questions pratiques, pour mieux s’exercer dans toutes les disciplines, elle rejoint l’ASVEL Triathlon puis le CRV Triathlon, un club formateur réputé qui compte pas moins de 200 licenciés. À Lyon, elle nage à lapiscinedeVaiseouàproximitédanslelacdeMiribel.Elle court sur les quais du Rhône, ponctuellement sur la piste Mélina Robert-Michon à la plaine des Jeux de Gerland pour des séries de 100 ou de 400 mètres. Pour le vélo tandem, elle fait du vélo d’intérieur et roule avec sa guide sur les quais de Saône, vers les Monts-d’or et les Monts du Lyonnais. Annouck enchaîne de nombreuses séances d’entraînement, plus de 5 fois par semaine à raison de deux trois heures par jour. “En compétition, c’est un sport très dur au début”, décrit- elle. “On est tantôt en position horizontale, tantôt assise, tantôt en position verticale. C’est exigeant. Et les transitions entre les trois sports, la sortie de l’eau, le passage sur le vélo sont délicats.”

SANS GRANDE RIVALE EN FRANCE

En compétition, l’épreuve se compose de 750 mètres de nata- tion, de 20 kilomètres à vélo tandem, 5 kilomètres de course à pied qu’elle parcourt accompagnée par une guide qui l’oriente, la conseille de la voix. Elle adore ce partage, “ce n’est pas mon sport, nous formons un duo. Mon guide n’est pas seule- ment mes yeux, nous sommes une équipe”, raconte-t-elle.

Très active, elle travaille également comme kinésithéra- peute au service gériatrique de l’hôpital de Givors qu’elle rejoint avec son chien d’aveugle. Elle aime aider les autres. Avec ses mains. Avec ses mots encourageants. Se rendre utile fait sens pour elle et le courant passe. “Les patients sont plutôt contents”, dit-elle. “Ils sont admiratifs. Ils ac- ceptent mon handicap. Ils se rendent compte que je ne me laisse pas abattre et que j’arrive à faire ce qui me plaît. Ma présence les booste. Ils prennent conscience de la chance qu’ils ont d’être encore valides, qu’ils peuvent être en meilleure forme malgré leurs problèmes et se bougent.”

Depuis 2015, elle a remporté 8 titres de championne de France. Elle est arrivée première au championnat d’Europe en 2021 et 4ème au championnat du Monde en 2022. Mais son principal fait d’armes est sa troisième place olympique à Tokyo. Boostée par la musique d’une fanfare brésilienne au départ de la course, elle se détend et réalise la course de sa vie. Depuis, elle a changé de guide. Cette nouvelle association, encore plus complice, l’a pous- sée à se relancer pour une nouvelle olympiade.

Elle avait perçu qu’elle avait réalisé une belle performance lorsqu’elle s’est retrouvée sur le plateau de France Télé- visions, l’endroit où tous les grands champions défilent, et quand des personnes dans la rue lui ont ensuite parlé de son sprint final et de sa médaille. Elle sait que le reten- tissement médiatique et l’accueil du public seront encore plus forts à Paris l’an prochain. Elle attend beaucoup des encouragements des spectateurs au bord de la route pour la porter, lui faire oublier son stress et sa technique.

“Le parcours passera par les Champs Elysées avec leurs pavés, une avenue empruntée chaque année par les coureurs du Tour de France cycliste. Pour une fois, ils seront réservés au sport handi” se félicite la sportive lyonnaise. “Les spectateurs mas- sés le long de la route devraient nous porter. Savoir qu’il y a tant de personnes au bord de la route qui croient en nous, qui ont confiance ne peut que nous motiver.”

“UN ROLE MODEL”

Cet été, elle a pu se jauger au Test Event, une compéti- tion qui s’est déroulée à l’endroit même des Jeux 2024. Le 19 août, elle était au départ de cette répétition générale qui s’est transformée en duathlon faute de pouvoir nager dans la Seine... Elle a enchaîné avec le championnat du monde à Pontevedra dans le nord-ouest de l’Espagne, les 23 et 24 septembre. Elle a fini troisième ! Cela est l’occasion pour elle de rappeler qu’“il ne faut pas nous regarder, en pleurant sur notre sort. Ce n’est pas parce qu’on est diminué qu’on est moins heureux que les autres. Au contraire, on profite encore plus de ce qui nous arrive de positif”.

Elle s’apprête à vivre dans un an un grand moment même si elle sait que le niveau de ses concurrentes sera relevé. “La médaille est loin d’être garantie à l’avance. C’est une course d’un jour, il peut y avoir des défaillances. Rien n’est écrit. Tous les détails comptent. Techniques, matériels et bien évidemment psychologiques”, concède-t-elle avec humilité, elle qui a un peu tendance à trop réfléchir, à se bloquer à force d’être trop perfectionniste. Quel que soit le résul- tat, elle souhaite que les Jeux servent de levier pour une meilleure inclusion et suscitent des vocations. “Le sport m’a permis de mieux accepter mon handicap” ,reconnaît la jeune femme qui fait régulièrement des interventions dans les établissements scolaires. Son exemple est inspirant: une jeune bourguignonne Sabrina Pieuchot qui avait le même maître-chien qu’elle, séduite, s’est lancé à son tour après avoir eu connaissance de ses exploits et elle a fini 3e au dernier championnat de France en septembre 2022 à Saint-Jean-de-Monts