“Loger les gens qui font vivre le territoire"

Message d'erreur

Deprecated function: Array and string offset access syntax with curly braces is deprecated in include_once() (line 20 of /var/www/vhosts/mag2savoies.com/httpdocs/includes/file.phar.inc).

Entretien avec Olivier Aubert, Pdg de Bacchetti et président de BTP74 qui rassemble les professionnels de ce secteur. Par Lionel Favrot

Selon vous, la pénurie de logements, qui n’est pas nouvelle, atteint-elle un niveau critique? Olivier Aubert: Oui, mais je tiens tout d’abord à souligner qu’on intervient au nom des Acteurs de la construction Sa- voie Léman. Cette association regroupe la FPI des Alpes, donc les promoteurs immobiliers, Pôle Habitat, la division immobilier de la fédération française du bâtiment, l’UNSA, l’union des architectes de Haute-Savoie mais aussi l’Union sociale des habitats de Haute- Savoie. C’est vraiment une démarche collective ! Vous craignez une baisse de votre activité ?Aujourd’hui, la préoccupation va bien au-delà des intérêts de notre filière. La population de Haute-Savoie aug- mente avec un solde positif de 10 000 nouveaux entrants par an chaque année. En résumé, 10 000 partent et 20000 arrivent. C’est une constante depuis près de 20 ans et cela ne va pas s’arrêter. Comment on les loge ? Les demandes en logements sociaux ex- plosent avec 29 000 dossiers en attente. C’est colossal ! Cette pénurie accélère la hausse des prix.

Pourquoi ne pas rendre plus attractifs les territoires quittés par ces nouveaux arrivants, et lancer de nouvelles formations en Haute-Savoie ?De nombreux secteurs d’activité com- mencent déjà à former des habitants qui ne connaissent rien à leur métier, plutôt que de faire venir des profes- sionnels de l’extérieur qui ne peuvent se loger sur place. On n’est évidem- ment pas opposés au rééquilibrage entre territoires ! Mais la loi peut-elle imposer de repeupler le Cantal au détriment de l’Ile de France ou de la Haute-Savoie ? Je ne crois pas !

Vous n’obtenez pas assez de permis de construire ?Depuis 2019, le nombre de constructions baisse et cela s’accélère. Ces der- niers mois, de plus en plus de permis de construire ont été refusés. On voit un jeu de chaises musicales : une com- mune bloque les constructions sur son territoire, reportant le problème sur sa voisine et ainsi de suite. Il faudrait une réflexion au moins départementale.

Comment expliquer qu’un cap ait été franchi ?Il y a bien évidemment un manque d’anticipation de nos élus. Le temps politique n’est pas le temps de l’urba- nisme. Des élections municipales tous les cinq ans, c’est trop court par rapport aux projets d’urbanisme. Il y a aussi des facteurs internationaux comme la hausse du prix des maté- riaux d’environ 20 % suite à la crise des matières premières. C’est un mar- ché désormais mondial. Et bien sûr les tarifs de l’énergie qui augmentent.

Mais il y a des causes spécifiques à la Haute-Savoie ?Oui. En Haute-Savoie, le prix du fon- cier a doublé en dix ans, pour atteindre 5 600 €/m2. C’est une moyenne ! C’est plus raisonnable dans certains secteurs comme Faverges ou Cluses et beau- coup plus élevé ailleurs. La proximité avec la Suisse où les salaires sont deux à trois fois supérieurs, soit environ 4 500 €, permet encore de vendre. C’est assez unique en France. D’ailleurs, les Suisses nous alertent depuis plusieurs années sur le fait qu’il va leur manquer 100000 personnes et qu’elles logeront en France.

Pourquoi les Suisses ne feraient- ils pas eux-mêmes un effort? On pourrait se demander si c’est à la Haute-Savoie de construire pour eux... On est d’accord mais cela dépasse lar- gement le cadre de nos prérogatives! C’est compliqué pour eux. Ils sont déjà au maximum de ce qu’ils peuvent construire selon leurs accords inter- cantonnaux. D’ailleurs, cette question frontalière ne concerne plus seulement la Haute-Savoie. Je ne serai pas surpris que la Savoie réclame à son tour une part de la réversion suisse car les prix augmentent également à Aix-les-Bains.

Devez-vous aussi affronter de plus en plus de recours?Oui, on sent souvent un ras-le-bol de la population. On doit donc faire des efforts pour expliquer aux habi- tants que si on ne construit pas, ils n’auront plus d’infirmières pour les soigner, plus d’instituteurs pour leurs enfants... Leurs enfants eux-mêmes ne pourront pas se loger ici.

Ces blocages de la population ralentissent-ils le développement du territoire?L’exemple de la famille Fournier qui développe Mobalpa depuis plusieurs années, est assez parlant. Ils voulaient étendre leur usine mais ce projet a été ciblé par une dizaine de recours au nom de la protection du paysage. Conclusion: cette usine s’est installée dans la Drôme. On doit changer la vision des gens sur l’aménagement du territoire.

Pourquoi ne pas récupérer des logements existants, mais vides, avant de construire ? Comme les résidences secondaires non louées en montagne...Des mesures incitatives des pouvoirs publics peuvent avoir un effet. Nous, en tant que professionnels de l’immobi- lier, on se parle beaucoup plus qu’avant grâce aux Acteurs de la construction Savoie Léman, née il y a trois ans. On a compris qu’on était tous interdépen- dants et qu’il fallait agir ensemble.

Que pouvez-vous faire à votre niveau ?Un bailleur social a mis l’interdiction de faire du Airbnb dans les règlements de copropriété de ses derniers pro- grammes. 4 500 logements d’Annecy sont en Airbnb. Outre la concurrence en quelque sorte déloyale par rapport aux hôteliers d’Annecy, la location via cette plateforme fait perdre des logements pour les gens qui travaillent. Notre association permet aussi de favoriser l’emploi des matériaux locaux et biosourcés. Une nouvelle entreprise R- Technologies, filiale de Cheminal, vient d’inaugurer une nouvelle usine pour pré-fabriquer des panneaux en béton de bois, un matériau carbonégatif par- faitement adapté aux nouvelles normes RE-2020.

Votre alerte est à contre-courant de la nécessité de limiter l’artificialisation des sols face au changement climatique ?Non. La lutte contre l’artificialisation des sols est née du Grenelle de l’Envi- ronnement, en 2007 et il y a un panel de solutions comme le réaménage- ment des friches urbaines, la mixité d’usage avec des logements construits au-dessus de locaux d’activités ou de bureaux, la densification, la suréléva- tion... Mais rénover l’existant ne suffira pas. On a déjà beaucoup de retard à rattraper. Sauf à décréter la diminution de la population, on ne s’en sortira pas sans construire !