“On ne peut nier la réalité ! ”

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A la manœuvre sur ce sujet sensible, Olivier Duch, 1er adjoint issu de l’ancienne opposition, et président de la SAGEST Tignes Développement. Propos recueillis par Lionel Favrot

Tignes a davantage la réputation d’une grande station sportive, déjà très urbanisée... Le développement durable est un vrai souci chez vous? Olivier Duch : Votre question est très typique de l’image qu’on peut avoir de Tignes ! Oui, on a l’image d’une station “industrielle” dimensionnée pour un tourisme de masse. Mais ce tourisme de masse a ses vertus! On veut juste- ment sortir des idées reçues sans cher- cher d’opposition entre les stations-villages et les stations nées du Plan Neige des années 1960-1970 comme Tignes. A l’époque, l’objectif était de démocratiser le ski en permettant à tous d’accéder à la montagne et au ski. Avec 350 bâtiments, dont quelques chalets compris, et environ 30 000 lits, Tignes bénéfice de cet héritage. Reste à savoir comment notre activité peut être plus durable.

Aujourd’hui, on entend deux discours en montagne. Certains considèrent le modèle actuel des stations déjà condamné, d’autres s’agacent de ce discours !A Tignes, en tout cas, on n’est pas du tout climato-sceptiques. On ne peut nier la réalité telle qu’elle nous éclate à la figure! En 2019, des glaciologues nous prédisaient une coupure de notre glacier en deux avec l’apparition d’un éperon rocheux en 2030. C’est arrivé à l’été 2022! Avec huit ans d’avance sur leurs prévisions. C’est complètement dingue. Deux téléskis ancrés dans la glace ne tenaient plus bien. On a décidé de les démonter.

Le ski sur le glacier de Tignes, c’est fini ?C’est aujourd’hui fini en début d’au- tomne. On est en train de préparer une deuxième vie pour le glacier avec des cheminements piétons, donc un aspect contemplatif. Comme tout s’est accé- léré, on a revu trois fois notre plan en un an mais cela s’est un peu stabilisé!

Cette fonte va-t-elle se poursuivre ?Selon les estimations actuelles, la fin du ski sur le glacier va arriver dans les 20 ans qui viennent. Même en hiver. La fonte de la glace va faire apparaître des reliefs avec des cuvettes et des verrous rocheux qui va rendre le ski hyper compliqué là-haut. Cette fin, il faut la préparer et l’anticiper. Mais tout le monde n’est pas au même niveau de conscience en montagne. Le Covid, qui n’avait a priori rien à voir avec le réchauffement climatique, a accéléré la prise de conscience des politiques et des media parisiens. Le Covid a aussi été un accélérateur de questionnement pour nos stations. On a vu leur fragilité: quand il n’y a plus de ski car tout s’arrête. Le ski en hiver, c’est encore 80 % du chiffre d’affaires des stations.

A 2 100 m d’altitude, Tignes reste quand même plus épargnée par le réchauffement climatique que d’autres stations. Hors du glacier, quelles sont les prévisions ?

Selon les prévisions de Météo France pour les 80 années qui viennent,Tignes n’aura pas de problématique d’ennei- gement pour, au minimum, les 50 prochaines années. Ce n’est pas pour autant qu’on va se dire “tout va bien, on continue et dans 50 ans, on ferme bou- tique”. Non, on veut préparer Tignes à cette échéance. De plus, au-delà de la neige, il y a l’acceptabilité sociale de notre activité qui est importante. Si notre ressource en eau se raréfie, dans quelle mesure la société acceptera qu’on la prélève pour démarrer la sai- son avec de la neige de culture? Et si l’énergie est aussi un problème avec des risques de coupure en hiver, les loisirs seront-ils prioritaires ? De plus, tout le monde n’y a pas d’accès car ça devient de plus en plus cher. C’est bien dom- mage et il ne faut pas croire que c’est une volonté de toutes les stations.

Vous travaillez à des activités sur 4 saisons comme d’autres stations? Oui, mais Tignes avait déjà adopté ce modèle grâce au ski. Rappelez-vous, notre slogan c’était “Tignes, le ski 365 jours par an.” Cela s’éloigne. Dans l’immédiat, on a décidé de pousser la saison au printemps car on a de su- perbes conditions de ski en avril.Tignes envisage de rester ouverte pour le ski professionnel en mai. Les clubs de ski sont en train de s’organiser pour suivre le mouvement. Ensuite, il faut quand même laisser respirer les organismes et les machines avec une vraie coupure pour avoir un bel été, de mi-juin à mi- septembre. On va tout faire pour une reprise du ski fin novembre. C’est un objectif raisonnable et raisonné, qui permet de maintenir des emplois en CDI à Tignes grâce à une double saisonnalité, qu’on veut absolument maintenir.

Comment comptez-vous réduire l’impact de vos activités ?On a travaillé avec le cluster Mon- tagne et l’ADEME. La première étape a été de réaliser le bilan carbone d’un skieur venant dans les trois stations : Le Grand Bornand, la Clusaz et Tignes, en association avec l’ADEME, qui a mobilisé le bureau d’études Utopies.

Vos priorités d’actions ?On a repris le sujet avec deux priorités : la mobilité, c’est-à-dire l’impact des moyens de transport des visiteurs avant d’arriver à Tignes, mais aussi les dépla- cements sur place, et la rénovation des bâtiments pour atteindre de meilleures performances énergétiques. La vision de la nouvelle équipe municipale élue en 2020, c’est que notre salut passe par un tourisme plus responsable.

Quels ont été les résultats de votre bilan carbone ?Le Domaine skiable ne compte que pour 3 % du bilan carbone global. Ce n’est donc pas la destination elle-même qui pèse ni l’activité ski, mais comment on rejoint la station, comment on y loge voire comment on y mange si on prend en compte l’impact carbone de l’élevage du bœuf par exemple, ou des produits importés. Un Parisien qui vient à Tignes dans des bâtiments ré- novés, c’est plus vertueux qu’un Lyonnais qui prend sa voiture pour faire du ski de rando dans une station du Ver- cors. C’est une réalité.

Mais grimper dans le Vercors en train, c’est juste impossible !Oui. Tignes a la chance d’avoir une gare TGV à proximité. On doit aug- menter sa fréquentation mais cela ne dépend pas que de nous. Cela im- plique un lobbying auprès de la SNCF, de l’Etat, de la Région. Elisabeth Borne a annoncé 100 milliards d’euros pour le train...

Combien coûteraient les aména- gements permettant d’acheminer davantage de touristes en train?Il n’y a qu’une voie pour arriver chez nous. Doubler la voie depuis Bourg- Saint-Maurice nécessiterait près d’un milliard d’euros d’investissement. Il faudrait 100 millions d’euros pour financer le saut-de-mouton de Mont- mélian. Cet ouvrage ferait passer une ligne sous l’autre pour éviter qu’elles se coupent et se ralentissent, ce qui permettrait d’ajouter trois à quatre trains par heure. L’aménagement d’un quai pour un train de nuit à Bourg-Saint-  Maurice, c’est 10 millions d’euros. Mais à un moment donné, il faut sa- voir ce qu’on veut ! Le milliard d’euros, c’est une somme, mais les 110 millions d’euros pour le saut-de-mouton de Montmélian et le nouveau quai à la gare de Bourg-Saint-Maurice, ce n’est rien par rapport aux enjeux!

Il y a aussi la question de la construction, donc de l’artifi- cialisation des sols. Est-ce bien logique de bâtir encore à Tignes alors qu’il y a des lits vides! Tignes a été précurseur pour lutter contre ce phénomène de lits froids. On a des incitations à la rénovation. Et plus un logement est loué, plus le propriétaire a divers avantages.

Quel est le pourcentage de rénovation àTignes?25 % des 150 copropriétés sont aux normes actuelles parce qu’elles sont neuves ou rénovées. Actuellement, il y a trois gros chantiers sur Tignes. On n’a pas le droit d’aider ces propriétaires car ce sont des résidences secondaires. En revanche, on peut accompagner leurs démarches grâce à l’ASDER, l’Association savoyarde pour le développement des énergies renouvelables.

Ces copropriétaires de Tignes sont-ils réceptifs ?Oui. Il faut souligner qu’ils sont tous au courant de cette problématique. Quand on aborde ce sujet, personne n’a l’air de “débarquer”. On a constitué un binôme efficace avec une personne des services techniques de la mairie qui maîtrise l’aspect réglementaire et un représentant de Tignes Dévelop- pement qui suit ces partenariats. On a aussi des exemples comme le Savoy, une copropriété qui réalise 40 % d’éco- nomie de chauffage après rénovation. On peut donc exposer leur retour sur investissement.

D’autres recommandations ?Viser une occupation 4 saisons. Leur logement ne doit plus être aménagé pour une occupation familiale seule- ment pendant l’hiver ni même seule- ment pendant les vacances scolaires. Si des jeunes souhaitent monter en station courant janvier, le logement doit être adapté. C’est important pour la station et cela leur permet aussi de mieux rentabiliser leur investissement.

La fréquentation est-elle assez soutenue pour justifier ces rénovations ?Oui. Un logement rénové peut géné- rer 50 % à 70 % de revenus locatifs en plus à Tignes. Et cela va s’accentuer. Nous-mêmes, dans notre offre loca- tive, on mettra davantage en avant les copropriétés rénovées. On ne va pas le faire tout de suite pour ne pas punir les retardataires mais d’ici cinq ans, c’est inévitable.

Ces rénovations se font-elles à un rythme suffisant ?Non et on en a conscience. Au- jourd’hui, on est à trois à quatre co- propriétés rénovées par an, il faudrait passer à 15 !

Est-ce qu’il n’y a pas un risque de désaffection des jeunes pour le ski, remis en cause par le réchauffement climatique tout en étant de plus en plus cher? Les enfants ou petits-enfants de ceux qui avaient acheté des apparte- ments dans les années 70 ne sont plus forcément au rendez-vous aujourd’hui...

On ne va pas nier ce phénomène géné- rationnel mais aujourd’hui, le constat, c’est que les prix de l’immobilier continuent à augmenter. Cette valeur des biens pose des problèmes pour loger les saisonniers mais elle contribue à justifier leur rénovation. D’autant que c’est le moment. En effet, ces bâti- ments ont entre 30 et 40 ans d’exis- tence et on a environ 30 ans à 40 ans d’activité assurée. C’est donc dans les dix ans à venir qu’il faut investir.

Même si votre impact carbone par skieur est plus faible que certaines petites stations, vos grandes remontées dégradent le paysage !

On a modifié le PLU pour réduire les extensions et les hauteurs. On s’inscrit dans la démarche zéro artificialisation nette d’ici 2050. Mais il y a des pro- jets lancés sous l’ancien mandat qui doivent aboutir. L’urbanisme, c’est une réflexion qu’on doit nommer à l’échelle de la Tarentaise. On a pas mal consommé de terrain ces dernières années à Tignes et on est prêt à réduire davantage que d’autres. En résumé, à part la construction de logements permanents à l’année, on veut rester dans l’enveloppe urbaine actuelle. Une forme de moratoire.

Agissez-vous pour la protection de la biodiversité?On a un observatoire de la biodiversité confié au bureau d’études Karum. Tignes est particulièrement bien dotée en espèces protégées faunisiques et flo- ristiques. C’est une difficulté d’aménagement été comme hiver. Mais on en tient compte. C’est impensable d’ignorer cette problématique. D’ailleurs, les services de l’Etat et les associations environnementales sont intraitables.

Avez-vous déjà renoncé à des projets d’aménagements?Oui. Pour aménager notre bikepark, on a tourné autour des bosquets de silène de Suède pour éviter de les déplacer. Dans l’idée d’une montagne plus ac- cessible, on voulait aménager une piste débutant mais on a trouvé de la karex bicolore. Du coup, on a annulé ce pro- jet. Tignes se situe au cœur du parc de la Vanoise. On a été les premiers signataires d’une convention d’actions partenariales avec le Parc une fois les polémiques sur la première version de la nouvelle charte dépassées. Une majorité des communes avaient refusé de la signer et le Parc est revenu vers nous avec une démarche différente, beaucoup plus coconstruite.

Est-ce que vous n’allez pas devoir faire évoluer votre architecture ? On s’est accordés avec les Bâtiments de France pour respecter l’architec- ture de chaque quartier, que ce soit le petit hameau des Brévières sur la rive droite de l’Isère, en réhabilitation, ou la station 2100. On est exigeants sur les énergies renouvelables qui doivent couvrir 80 % des besoins des nou- veaux bâtiments. En général, il s’agit de pellets de bois complétés par des panneaux photovoltaïques. On n’est pas au stade d’imposer des éco-maté- riaux mais on demande que la four- niture en matériaux se fasse au plus près. Exemple : le béton du nouveau Club Med a été fabriqué sur place et il a été labellisé BreamVeryGood. Pour les constructions et les réhabilitations, on demande aussi un maximum de réemploi des matériaux. C’est ce qui s’est fait avec le projet d’éco-village par les Etincelles.

Un discours plus radical contre les stations prend de l’ampleur. Certains s’appuient sur le livre “La neige empoisonnée’ publié dans  les années 1970 contre le Plan Neige de l’Etat justement !Je prends cela comme une provocation face à certaines stations qui semblent ne pas avoir pris conscience de ces enjeux climatiques et environnementaux. Ils veulent nous pousser à réagir. On souffre un peu de ce discours qui devient excessif. Aujourd’hui, même quand on pro- pose des aménagements adaptés à la situation actuelle mais réversible pour de nouvelles activités dans le futur, on nous questionne sur leur bien-fondé. On sent même parfois une sorte d’ir- rationalité sur l’avenir de la montagne. Certains voudraient tout arrêter tout de suite. C’est oublier que dans les stations vivent et travaillent des gens, et qu’ils produisent de la richesse. Les bâtiments et les équipements sont là, on ne va pas tout raser. Ces attaques deviennent caricaturales. De plus, on ne peut parler de la montagne mais des Montagnes. Les réponses pour la Clusaz, à plus faible altitude mais proche d’agglomérations, ne peuvent pas être identiques pour Tignes, situé à 2100 mètres, mais en fond de vallée. Je ne prétends pas qu’on est parfaits ni exemplaire. Mais sur cette ques- tion du réchauffement climatique, on est hypersensibilisés.